Le rôle des délégations de pouvoirs dans les entreprises. Quel formalisme ?
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Qu’est-ce que les délégations de pouvoirs en droit pénal ?
La délégation de pouvoirs est un mécanisme qui permet à un dirigeant d’une entreprise de déléguer tout ou partie de ses pouvoirs propres à un délégataire et ainsi d’échapper à sa responsabilité en cas de poursuite pénale.
Il s’agit d’une notion purement prétorienne :
« Si le chef d’industrie doit à ce titre être tenu pour pénalement responsable comme étant l’auteur des contraventions commises dans les parties de l’entreprise qu’il administre directement, la responsabilité pénale de celles qui se produisent dans ceux des services dont il a délégué la direction pèse au même titre sur le directeur, gérant ou préposé qui l’y représente comme chef immédiat avec la compétence, et l’autorité nécessaires pour veiller efficacement à l’observation des lois »
Cass. Crim., 28 juin 1902 : D., 1903, I, 585; Bull. Crim., n°237.
Pour qu’elle soit valable, la délégation de pouvoirs doit remplir certaines conditions établies par la jurisprudence.
Quelles sont les conditions de validité d’une délégation de pouvoirs ? Quel formalisme ?
Il n’existe aucun texte légal qui ne donne de définition de la délégation de pouvoirs en entreprise.
Le Code du Travail y fait mention mais sans en donner les conditions ni le régime.
Article R.4511-9 alinéa 1 Code du travail : « Pour l'application des dispositions du présent titre, le chef de l'entreprise extérieure ne peut déléguer ses attributions qu'à un travailleur doté de l'autorité, de la compétence et des moyens nécessaires ».
Les conditions ont été données par la Cour de cassation par quatre arrêts en date du 11 mars 1993 où elle énonce :
« Sauf si la loi en décide autrement, le chef d’entreprise qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ».
Cass. Crim. 11 mars 1993 n°M91-80-598 ; n°C91-80-958 ; n°A90-84-931 ; n°X92-80-773 ; n°J91-83-655.
Il existe 7 conditions :
1. Le délégant ne peut qu’être le chef d’entreprise qui transmet une partie ou la totalité de ses pouvoirs :
Le Directeur général n’est pas un chef d’entreprise et ne peut donc déléguer ses pouvoirs sauf à avoir lui-même reçu du conseil d’administration une mission spécifique clairement identifiée, différente de celle du président et accompagnée d’une délégation de pouvoirs.
Malgré tout, il est admis la validité des subdélégations dans la limite des pouvoirs confiées au délégataire qui devient délégant.
L’existence de délégations « en cascade » s’avère précieuse dans l’organisation interne des entreprises puisqu’en plus de protéger le président d’éventuelles poursuites pénales, elle permet une meilleure organisation interne et une clarification des missions de chaque entité distincte.
L’avocat a ici un rôle précieux de conseil en matière pré-contentieuse.
Lorsqu’il intervient régulièrement pour la même entreprise, l’avocat a une valeur ajoutée à connaître la chaîne de délégations.
A ce titre, vous pouvez contacter Maître François LEGER aux fins de rédiger ces délégations et subdélégations.
2. Le lien de subordination du délégataire vis-à-vis du délégant :
Elle peut être juridique (existence d’un contrat de travail) ou hiérarchique (en cas de groupe de société).
Le dirigeant de la société mère peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en délégant ses pouvoirs pour l’ensemble des sociétés du groupe à un salarié d’une société filiale placé sous son autorité hiérarchique (Cass. Crim. 7 février 1995, n°94-81.832, Jurisprudence TRABET).
3. Le délégataire doit avoir accepté la délégation :
Même si la délégation de pouvoirs peut être expresse, la preuve de cette acceptation résultera le plus souvent de la signature d’un avenant au contrat de travail.
4. Le préposé doit être doté de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires :
L’autorité correspond au pouvoir d’enjoindre et de sanctionner. Le délégataire doit pouvoir donner des instructions et les faire respecter.
La compétence doit être aussi bien technique que juridique sans qu’il soit nécessaire que le délégataire occupe un rang élevé au sein de la société.
Le délégatoire doit disposer des moyens matériel, personnel et financier, nécessaires à l’exécution de ses missions.
Ces conditions sont cumulatives.
5. Un seul délégataire par mission. Il est dit que la délégation de pouvoirs est exclusive et non cumulative.
6. Une délégation doit être précise et nécessaire :
La délégation de pouvoirs ne peut pas être générale ni totale. Elle doit être précise.
Le délégataire doit pouvoir connaitre avec exactitude l’étendue de sa mission.
Le Chef d’entreprise ne peut déléguer ses propres pouvoirs de direction.
En outre, on dit qu’elle doit être nécessaire à la bonne organisation et le bon fonctionnement de la société.
7. L’écrit n’est pas nécessaire :
Les conditions tenant à la validité d’une délégation de pouvoirs sont régulièrement contestées lorsque son existence est soulevée devant la justice.
La preuve de la délégation de pouvoirs est libre et peut être apportée par tout moyen.
Néanmoins, les conditions de validité de la délégation sont jurisprudentielles et la loi garde le silence en cette matière, ce qui rend la démonstration de cet outil imprévisible.
ATTENTION: Ne pas confondre avec la délégation de signature !
A ne pas confondre avec la délégation de signature qui a seulement pour objet l’autorisation donnée à un tiers de signer pour le compte d’autrui. En droit pénal, la délégation de signature ne produit aucun effet.
Quels sont les avantages des délégations de pouvoirs ?
La délégation de pouvoirs permet à un chef d’entreprise de se dégager de sa responsabilité pénale en matière d’infractions non intentionnelles.
Attention, elle n’exclut pas la responsabilité pénale du chef d’entreprise en cas de participation volontaire à une infraction pénale.
La délégation de pouvoirs est particulièrement importante en matière d’accident du travail.
En effet, lorsqu’un accident du travail se produit, la responsabilité pénale du dirigeant peut être recherchée des chefs de violences ou d’homicide involontaires (articles 221-6 du Code pénal, article 222-19 du Code pénal, article 222-20 du Code pénal)
Pour condamner une personne physique à une infraction non intentionnelle, il faut rechercher si celle-ci a directement participée au dommage ou si elle a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou enfin, si elle a omis de prendre les mesures permettant de l’éviter (article 121-3 du Code pénal).
Dans le premier cas, une faute simple suffira à condamner le dirigeant. Pour les deux derniers cas, il faudra imputer au dirigeant une faute qualifiée (faute caractérisée ou faute délibérée).
La recherche de ces fautes (simple ou qualifiée) démarre souvent à l’initiative de l’Inspection du travail qui, à la suite d’un accident du travail, va visiter les lieux et dresser procès-verbal en relevant les infractions à la législation ou la règlementation du travail qui semblent pouvoir être reprochées aux différents acteurs de l’entreprise.
L’Inspection du travail envoi ensuite son rapport directement au procureur de la République qui va ou non décider d’enquêter sur ces faits et de mettre en mouvement l’action publique.
La responsabilité pénale du dirigeant en cas d’accident du travail est fondée sur l’idée que l’employeur a l’obligation de veiller à l’observation de la législation par ses préposés, de sorte que si une infraction ou un accident a pu être commis, c’est par négligence du dirigeant.
En matière de droit du travail, la faute du chef d’entreprise est quasiment présumée, celui-ci étant responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés (article L.4741 du Code du travail).
D’autres infractions à la législation du travail peuvent été reprochées aux dirigeants :
- L’emploi de travailleurs à une activité comportant des risques d’exposition à des agents chimiques dangereux (articles R.4412-5 et suivants du Code du travail) ;
- L’absence de mise à jour du Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER) (article R.4741-1 du Code du travail) ;
- Manquement aux obligations d’établissement du Plan de Prévention des Risques entre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise extérieure (article R.4512-6 du Code du travail)
- Absence du Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé par l’entrepreneur (article R.4532-56 à R.4532-74 du Code du travail).
Une fois démontrée la violation par le dirigeant d’une réglementation particulière préexistante (ici en matière de droit du travail), il est aisé pour le Ministère public de relever une faute qualifiée (faute caractérisée ou faute délibérée) nécessaire afin de retenir la responsabilité pénale du dirigeant pour homicide ou violences involontaires.
En effet, le Ministère public devra seulement démontrer le caractère manifestement délibéré de la violation (pour la faute délibérée) ou le fait que le dirigeant ne pouvait ignorer le risque d’une particulière gravité qu’il exposait à ses salariés du fait de ses manquements répétés (pour la faute caractérisée).
Cependant, si le dirigeant parvient à rapporter la preuve d’une délégation de pouvoirs effective et efficace, la responsabilité pénale sera automatiquement transférée sur la personne du délégataire.
Même si ce dernier n’est pas poursuivi, la responsabilité du délégant sera écartée.
A l’inverse, si un salarié – délégataire – parvient à démontrer l’invalidité de sa délégation de pouvoirs, la responsabilité du dirigeant – délégant – sera engagée.
En conclusion, la délégation de pouvoirs permet au chef d’entreprise de déléguer une partie de ses droits et obligations à un préposé doté des pouvoirs, de la compétence et des moyens nécessaires à l’exécution de ses missions et ainsi de transférer sa responsabilité pénale entre les mains du délégataire.
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